J'ai juste changé le titre de mon CV

J’ai juste changé le titre de mon CV

Depuis 2015, j’ai opéré ce que l’on pourrait qualifier de changement de direction, une reconversion, un virage… J’ai utilisé beaucoup de qualificatifs pour m’accorder le courage du changement, jusqu’à ce jour où on m’a posé une question simple: Qu’as-tu changé dans tes objectifs à accomplir au travail? Mince…

Je suis issu d’une formation d’ingénieur informatique et réseaux en alternance, terminée en 2009. Ce que ça signifie, c’est que de 2006 à 2009, je passais 60% de mon temps en entreprise, le reste à l’école. En entreprise, j’ai énormément appris sur les notions de gestion de projet, de calendrier, de budget, etc. Mais surtout, grâce à mon premier mentor qui se reconnaîtra peut-être si un jour il lit ces lignes, j’ai appris l’importance fondamentale de la valeur humaine dans un projet quel qu’il soit. J’ai donc continué dans cette voie, puisque je savais le faire et que ça me motivait. D’expérience en expérience, j’aiguise mes compétences et obtient finalement en 2012 ce que doit obtenir à l’époque tout ingénieur en informatique en France qui souhaite augmenter son salaire, le graal : un poste de chef de projet!

Je n’ai pas changé de métier. J’ai suivi un parcours qui est le mien, au fil de ce qui m’anime. Ce que je fais aujourd’hui est l’addition de ces expériences, pas le résultat d’un changement.

Youpi, je suis chef de projet

Ce poste je le chéri, je le cajole. Je vais avoir l’opportunité de travailler avec des professionnels qui vont me faire grandir dans ma compréhension de leur métier, et je vais en retour être en position de les aider également à grandir dans leur expérience professionnelle, en leur proposant des opportunités dans la conduite de nos projets pour qu’ils puissent développer leur esprit critique, leur autonomie et leur capacité d’analyse.

J'ai juste changé le titre de mon CV

Pour honorer ma part du travail, je fais des feuilles excel de planification au cordeau, j’effectue le suivi de la consommation de mes budgets à la demi-journée près, participe à des réponses à appel d’offre dans lesquels je chiffre et planifie la moindre tâche plusieurs mois à l’avance.

Seulement ces budgets, plannings et réponses au bout d’un moment je veux les construire avec ceux qui vont réaliser le travail. Après tout, si je veux faire des promesses raisonnables à un client, quoi de plus naturel que cette promesse vienne de ceux qui vont faire le travail?

Mais non, on m’explique qu’on ne mêle pas les développeurs à la planification d’un projet. Ils réalisent, ils ne réfléchissent pas. Bon, après tout, je suis juste un chef de projet, pas directeur projet, qu’en sais-je?

Je vais juste impliquer les développeurs dans la communication aux clients des problématiques du projet, pour que les messages passent directement, pas par un intermédiaire qui pourrait faire des erreurs d’interprétation technique.

Mais non, on m’explique qu’on ne mets pas les développeurs en relation avec les clients, surtout pour révéler des problèmes aux clients. Ils codent, ils ne savent pas s’exprimer de façon correcte. Bon, après tout, je suis juste un chef de projet, pas directeur commercial, qu’en sais-je?

Je vais juste impliquer les développeurs dans les choix technologiques à faire, parce que ce sont eux qui ont l’expertise.

Mais non, on m’explique qu’on ne donne pas ce genre de pouvoir aux développeurs. Ils exécutent, ils ne savent pas faire de choix. Bon, après tout, je suis juste un chef de projet, pas directeur technique, qu’en sais-je?

Zut, je suis chef de projet

Je vais juste arrêter ce métier. Oui, parce que bon, j’ai pris ce chemin à la base parce que ce qui me fait vibrer c’est d’aider les autres à s’accomplir et découvrir leur potentiel. Aider plusieurs individus qui ne se connaissent à trouver comment travailler ensemble à l’accomplissement d’un objectif commun et leur permettre d’en tirer le crédit qu’ils méritent, représente quelque chose de tout de même vachement plus excitant que de tenir le délai de livraison d’une application prévue un an auparavant, ou d’avoir tenu mon budget au sou près.

J'ai juste changé le titre de mon CV

C’était fin 2014. J’ai à ce moment là décidé de me reconvertir. La vie est trop courte pour renier ses valeurs et s’infliger de traiter les gens comme ou nous l’ordonne, au lieu de le faire comme notre conscience nous dicte de le faire. Attention, ce n’est une critique acerbe du métier de chef de projet que je fais là, c’est simplement une réalité morose à laquelle j’ai dû faire face. J’ai peut être simplement manqué de chance toutes ces années.

Malheureusement, ma reconversion devra attendre, car c’est au même moment que nous avons eu avec ma femme l’opportunité de partir vivre un minimum de trois ans au Canada, et pour tout un tas de raison nous n’avions que de mon salaire pour vivre durant cette période. J’ai donc pris sur moi de continuer à faire ce métier de chef de projet. Seulement ce à quoi je ne m’attendais pas en cherchant du travail une fois sur place, c’était de tomber sur cette startup dans laquelle une équipe Scrum était à l’oeuvre.

Hey, c’est quoi ce truc?

Bon, je sais, les détracteurs de Scrum auront un petit sourire au coin des lèvres. Peu m’importe. On dira ce qu’on veut, je sais bien ce dont j’ai été témoin : lorsqu’il est bien implémenté Scrum a le mérite d’encourager l’autonomie et le ownership, dans un environnement de sécurité qui permet à chacun de grandir.

Ce fut mon premier vrai contact avec l’agilité. J’y ai vu une porte de sortie: Il était désormais possible pour moi de faire un métier dans lequel la bienveillance, la confiance, la transparence, l’expérimentation, la sécurité et la collaboration étaient des valeurs desquelles tout découlait. Seulement je ne faisais pas partie de cette équipe. Non, je m’occupais d’un autre produit qui était voué à disparaître, dont l’un des principaux clients était mécontent. Il y a alors une relation conflictuelle difficile dont j’hérite. Je décide donc d’appliquer dans mes activités de chef de projet les choses que j’observe dans l’équipe Scrum, en accord avec mes valeurs: communication, transparence, collaboration. Cela fonctionne, les relations avec les clients s’améliorent, tout allait dans la bonne direction! Mais pas de chance, pour diverses raisons cette startup ferme ses portes. Je me retrouvais dans une situation frustrante: je n’ai que peu d’expérience “agile” et ne suis pas légitime en tant que Scrum Master, mais maintenant que j’ai touché à autre chose je ne veux pas retourner à mon titre de chef de projets. Que faire? Sortir de sa zone de confort. Après tout, qu’est-ce que je risque?

J'ai juste changé le titre de mon CV

J’ai donc logiquement passé ma certification de Scrum Master, y voyant un moyen d’obtenir un poste éponyme. Oui parce qu’on ne se refait pas après tout, j’ai à ce moment là toujours ce vieux réflexe: je veux un diplôme pour justifier mes compétences. Je cherche. Je cherche. Puis après un mois je ne trouve pas. Finalement, on me propose un poste de chef de projets chez un ancien client, avec la perspective de travailler sur des technologies innovantes et excitantes dans une petite équipe au sein d’un grand groupe. Je ne résiste pas longtemps, car le contact passe bien et le projet m’intéresse. Pensez-y, travailler à développer un parc d’abribus numériques connectés et interactifs, qui peut refuser ça?

Après plusieurs mois passés au sein de cette structure, je m’éclate! Je découvre de nouveaux jouets en permanence et apprends beaucoup sur le monde du Digital Out Of Home (DOOH). J’essaie même d’aider mes collègues à déceler les failles dans la communication au sein de l’équipe, m’efforce d’améliorer les relations avec nos prestataires, propose de nouveaux modes de visualisation d’avancement pour encourager la transparence, etc. Ca ne vous rappelle rien? En fait, je passais moins de temps à “gérer mes projets” qu’à tout faire pour aider mes collègues. Tout comme je ne pouvais pas lutter contre mon besoin de justifier que je mérite un poste par le diplôme, je ne pouvais pas lutter contre ce besoin de huiler les rouages pour faciliter la vie de tout le monde.

C’est à ce moment-là qu’une petite startup de conseil en transformations organisationnelles, co-fondée par un ancien collègue, me contacte pour me proposer d’embarquer avec eux pour aller au bout de ma nature de facilitateur.

Je suis courageux, j’ai pivoté

J'ai juste changé le titre de mon CV

Ce fut un point décisif dans mon parcours. C’est à partir de là que j’ai pu enfin obtenir la légitimité de faire ce qui me motive au travail: aider les autres. Je ne vais pas continuer sur le reste de mon parcours parce que ce billet n’est pas un entretien d’embauche.

Sur le coup, je n’ai pas fait attention à la façon dont ce job m’a été proposé, car le plaisir de pouvoir s’enorgueillir d’avoir eu le courage de faire un pivot dans sa carrière (et de changer enfin mon titre sur mon CV) était bien plus fort que le simple fait de reconnaître ce que c’était: la continuation d’un chemin entamé il y a bien longtemps.

On ne lutte pas contre soi-même, on se dompte

Ce chemin m’a fait passé par différents titres et postes dans différentes structure. Au sein de ces structures, je finissais invariablement à déployer toute mon énergie à m’efforcer de pousser mes collègues à se dépasser, à déployer leur potentiel et à s’accomplir. Au début sans réellement savoir pourquoi, puis avec le temps j’ai fini par apprendre qu’on peut mettre des mots sur cette attitude: “servant leadership”.

J’ai compris alors que je n’avais pas opéré un pivot dans ma carrière. Je n’ai jamais été réellement chef de projet, scrum master ou que sais-je. Si je repense à la dernière décennie qui s’est écoulé avec une approche systémique, j’arrive inévitablement à une conclusion simple: Peu importe le titre que je mettrais sur mon CV, je serais un servant leader quoi qu’il arrive. C’est dans mes valeurs fondamentales.

Si j’avais passé mon temps à lutter contre ces valeurs pour coller à ce qu’exige un titre, cela aurait provoqué une guerre civile intérieures qui aurait généré frustration, colère, amertume. Je n’en suis pas passé loin. Si au contraire on explore ses valeurs fondamentales pour comprendre ce qui nous motive, alors on découvre des moyens de se dompter soi-même. Par cela j’entends être capable d’avoir un regard critique sur ce que d’autres pourraient qualifier de défaut, manque d’expérience, ou que sais-je. On est alors capable d’accepter soit de les améliorer, soit de les exploiter.

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On est la somme de nos expériences. C’est une phrase un peu galvaudée, mais qui prends tout son sens lorsque l’on opère un changement de carrière. Mais que signifie au juste changer de carrière? Peu importe, finalement… Ce qui compte c’est de comprendre pourquoi on fait ce que l’on fait, et si ces raisons restent les même peu importe le titre glorieux que nous avons.
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