La culture du culture-washing

La culture du culture-washing

Depuis quelques années, la valeur perçue de la culture organisationnelle a le vent dans les voiles, et pour être honnête avec vous, je suis très content d’assister à ce phénomène. Le jour où j’ai compris que la culture d’entreprise deviendrait quelque chose d’important pour moi (ça ne fait pas si longtemps que cela), ça commençait à peine à faire parler. 

Comme j’ai trop souffert professionnellement de cultures toxiques, et des approches de gestion vraiment trop traditionnelles ou conservatrices fonctionnant généralement en command and control, voir poindre quelque chose d’un peu plus humain et progressiste est rafraîchissant, et je suis prêt à me réjouir de n’importe quel pas vers l’avant.

Ceci dit, il y a un phénomène assez malheureux qui accompagne la montée en popularité d’une culture organisationnelle seine et plaisante, et c’est le phénomène de « culture-washing ». 

Quand paraître est plus facile qu’être

Lorsqu’un concept devient tendance, comme par exemple le virage vert et la conscience environnementale, le phénomène de « washing » suit généralement de très près. Dans le cas de l’environnement, beaucoup d’entreprises vont afficher leurs produits et/ou services comme étant « verts » de manière trompeuse car qu’ils n’ont pas du tout fait d’efforts supplémentaires pour les rendre verts. Même que certains de ces produits ou pratiques sont absolument dangereux pour l’environnement, mais ces entreprises souhaitent quand même profiter de la tendance verte. On les accuse alors de faire du « green-washing ».

De la même façon, il existe des entreprises affichant le ruban rose pour la sensibilisation au cancer du sein, et dont les produits contiennent des substances cancérigènes. C’est ce qu’on appelle le « pink-washing » : profiter de la tendance pour vendre davantage de produits et hypocritement redorer notre image.

L’expression « culture-washing » vient de là. On accuse de culture-washing les organisations qui se vendent comme ayant une culture forte et vibrante, alors que la culture qui prospère réellement en leurs murs est complètement différente de celle qui est mise de l’avant. Généralement, elle se trouve à être plus traditionnelle, parfois même toxique.  

Beaucoup de tendances font malheureusement cet effet. Je viens du monde Agile, et bien sur, 100% des entreprises en informatique disent et prétendent être agiles. Bien mal vue serait l’entreprise disant « Nous, nous ne sommes pas agiles ». Tout le monde veut être agile, mais bien des organisations ne se donnent pas les moyens de faire le moindre pas en avant dans cette direction. Mais c’est un autre débat. 

Le fossé entre ces déclarations et la réalité, ça se mesure généralement en années-lumières. C’est triste, mais c’est la réalité. Il est plus simple de prétendre être agile que de le devenir, tout comme il est plus simple de prétendre avoir une belle culture organisationnelle, plaisante et amusante, que d’en avoir une réellement. Il faut faire attention à ce genre de subterfuges. 

La culture marketable

Cela fait plusieurs mois qu’on parle de la présente « pénurie de main d’oeuvre » au Québec. L’expression n’est pas de moi, d’où les guillemets, vous savez ce que je penses des termes « ressources », « capital humain », « main d’oeuvre »… Enfin, vous comprenez. 

Pour palier à cette pénurie, beaucoup d’entreprises investissent une énergie folle (sans parler des budgets) dans leur culture organisationnelle. Et elles font bien : les organisations qui souffriront dans l’avenir seront celles qui ont une culture pauvre, où les gens ne réussissent pas s’épanouir, et où les jeux politiques, la microgestion et l’approche « command and control » font partie du quotidien. 

Or, j’ai quand même un problème avec l’idée de se construire une culture intéressante si le seul but est de faire la promotion de cette nouvelle culture. Pour qui, pour quoi est-ce que les organisations améliorent leur culture? Pour les futurs employés? Pour améliorer les KPI de leurs recruteurs et vendeurs? Pour impressionner leurs clients? Ou pour les gens qui la vivront 40 heures par semaine?

Comprenez-moi bien, je serai toujours en faveur d’une culture forte et humaine. Mais je crois qu’il s’agit d’une erreur stratégique de la développer dans le seul but de mieux recruter, ou mieux vendre. 

Je suis un fan de Tony Hsieh, président de Zappos, qui a construit une culture tellement forte et vibrante qu’il se permet de faire des déclarations telles que « Votre culture EST votre marque ». Et j’aime également cette déclaration, de Robert Stephens, qui va ainsi : « Le marketing est une taxe que vous payez pour avoir une culture non-remarquable »

Essentiellement, votre culture doit d’abord être optimisée et conçue pour vos employés. Une culture forte ne laisse personne indifférent, et les gens en parleront naturellement et s’en feront les ambassadeurs. Une culture conçue dans le seul but de mieux pouvoir vendre votre image de marque représente, au mieux, une décision malavisée, au pire, du gaspillage. 

La carotte vs la cerise

Puisque le fait d’avoir une culture organisationnelle forte est tendance, cela incite plusieurs entreprises à vouloir se rendre là rapidement. Il est tentant de vouloir prendre des raccourcis pour « battre la compétition ». C’est généralement à ce stade qu’on commence à parler des fameuses tables de ping-pong, de baby foot, les consoles de jeux vidéos, les salles de conférences thématiques et tout le tralala.

Ces choses ne sont pas mauvaises en soi. Mais avoir un jeu de hockey sur table n’assure pas la présence d’une culture forte. D’ailleurs, j’ai entendu parler de beaucoup d’entreprises qui avaient de tels jeux, et qui interdisaient à leurs employés de les utiliser sur les heures de travail. Et avec des sanctions assez sévères si on ose le faire. Dans ce cas, le message est assez clair: notre culture, c’est que le plaisir c’est après les heures du travail. En attendant, retournez à votre place, et travaillez, fainéants. Aussi bien aller voir dans une autre entreprise si vous y êtes. 

Ce type d’approche, je l’appelle « l’approche carotte ». On tend une carotte (qui, avouons-le, ne coûte pas très cher et est facile à mettre en place) pour attirer les gens, alors qu’il n’y a aucune fondation forte pour soutenir cette initiative, il n’y a que le bâton. Ça attire certainement plusieurs personnes, qui sont là peut-être justement pour l’apparence de « coolitude », mais on ne sais pas si ces gens sont là parce qu’ils aiment leur travail. Et quand ça tourne mal, cependant, ce n’est pas rare de voir disparaître la console de jeu ou la table de ping-pong en premier. Et les choses retournent à leur naturel ordinaire assez vite : le bâton. Ceux qui étaient-là pour la carotte ne restent pas bien longtemps après ça.

Je préconise un environnement où la culture de base est déjà très forte, et ou ces artifices amusants ne sont que la cerise sur le sundae. Les gens ne quitteront pas si ces petits plus disparaissent : ils ne sont pas là pour ça en premier lieu. Ils sont là parce qu’ils aiment être là, sont bien traités, et s’épanouissent. Les jeux et les salles de conférences à thèmes, c’est de l’extra. 

Les valeurs bidon

L’un des symptômes les plus flagrants d’une culture d’entreprise pauvre, c’est lorsqu’une organisation a une liste de valeurs imprimée sur les murs, et qui génère du cynisme de la part des employés chaque jour, parce que ces valeurs, ils ne les vivent pas. 

D’ailleurs, une vieille blague dit que si on demande à une personne de la réception d’une entreprise d’énumérer les valeurs organisationnelles qui sont imprimées juste sur le mur derrière elle sans se retourner, cette personne ne pourras en nommer qu’une ou deux. Et c’est tout à fait normal lorsqu’on a des valeurs dont tout le monde se balance, du concierge au président. 

Les sempiternelles valeurs n’ont justement aucune valeur si elles ne servent qu’à remplir la section « Nos valeurs » d’un site Web, à épater des clients, à impressionner des fournisseurs, et à taper dans l’oeil de candidats. À ce moment, les valeurs ne sont qu’un écran de fumée, composé de vapeurs de cynisme, qui s’étend dans l’entièreté d’un bureau. Et, soyons clairs, promettre de la transparence, du respect, et de l’innovation lorsqu’on a pas l’intention de livrer, au final, ne devient qu’une vieille blague cruelle pour des employés. Une sorte de torture à petit feu, jusqu’à ce qu’ils décident de cesser d’espérer et d’aller voir ailleurs. 

Par définition, une valeur est un principe par lequel on vit. Si personne dans une entreprise ne vit ses valeurs, on ne peut pas s’attendre à autre chose que du cynisme. « Transparence, yeah right ». Ce genre de cynisme. Lorsque des valeurs d’entreprise sont piétinées à tout moment de la journée, il n’est pas déraisonnable de croire que des employés auront de la difficulté à faire confiance à la direction, ou à supporter ses initiatives. Car on leur ont déjà merveilleusement montré combien quelque chose d’aussi crucial que des valeurs n’importaient peu. 

Intégrité et cohérence avec les valeurs

Pour avoir une culture vibrante, une entreprise se doit de traiter ses valeurs pour ce qu’elles sont : des principes par lesquelles elle souhaite vivre. C’est à dire que si elle a des valeurs fortes, celles-ci devraient guider toutes les décisions. 

Imaginez une situation où une organisation se heurte à un dilemme avec 3 pistes de solutions possibles. Les valeurs, qui sont les principes les plus importants, ne l’oublions pas, devraient être en mesure de pointer vers la solution qui est la meilleure pour l’entreprise. Si la meilleure solution ne cadre pas du tout avec les valeurs de l’organisation, comment peut-elle être la meilleure solution? Ou peut-être est-ce un bon moment pour réviser les valeurs si les décisions qui sont prises vont systématiquement toujours à leur encontre.

L’intégrité et la cohérence, c’est entre autre de faire ce qu’on dit qu’on fait.

Les patrons qui disent quelque chose et font sans cesse son contraire se retrouvent parfois à se demander pourquoi leurs employés ne sont pas très loyaux. C’est un peu normal. Il faut traiter les valeurs d’entreprise de la même façon. Une organisation qui suit systématiquement les valeurs qu’elle a mises en place crée un environnement d’intégrité et de prédictibilité. Les employés ne devraient pas être surpris quand l’entreprise démontre que les décisions prises sont alignées avec les valeurs de l’organisation. Et ÇA, c’est un moyen vraiment très efficace pour renforcer une culture : quand les décisions deviennent prévisibles parce qu’elles sont toujours alignées avec les valeurs. Pour les dirigeants des organisations empruntant cette approche, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils n’aient même plus à prendre la majorité des décisions : les employés, guidés par les valeurs, le feront pour pour eux. Vous imaginez ce que ça implique? Voilà le potentiel d’une très forte culture. 

L’interprétation de vos valeurs

Un piège très important dans lequel il ne faut pas tomber, cependant, c’est d’avoir des valeurs qui sont trop vagues, et pouvant être interprétées de multiples façons. Transparence, innovation, respect et communication, c’est bien beau, mais c’est difficile à mettre en place. Ce sont des concepts vagues. « J’ai discuté avec des gens aujourd’hui, donc j’ai communiqué ». Meh. Ce n’est pas exactement ce que les dirigeants avaient en tête, je crois, en choisissant « communication ». 

Simon Sinek, que plusieurs connaissent pour ses conférences et ses écrits sur le leadership, et l’importance de trouver notre « why », propose une approche un peu plus intéressante qu’une simple liste de mots. Il propose plutôt de changer vos valeurs en actions. 

Pour donner un exemple simple, au lieu d’avoir la valeur « innovation », qui veut tout et rien dire, il propose plutôt « Approcher les problèmes d’un nouvel angle ». Ah, tout à coup, ça devient un peu plus facile à comprendre, et à mettre en action rapidement.

Au lieu de n’avoir que « Communication », ce pourrait être « Faites en sorte que l’information ne se perde pas », par exemple. Il est difficile de montrer qu’on a innové, ça ne se mesure pas très bien. Cependant, on peut compter les fois où on a approché un problème d’un tout nouvel angle. Voilà un moyen efficace de pouvoir mesurer à quel point une culture colle à la peau des employés d’une organisation. Et à quel point ils se l’approprient. 

En conclusion

Investir dans votre culture est un choix tout à fait éclairé, du moment que votre objectif est réellement de voir cette culture se vivre et se développer au quotidien. Aussi, trouver la culture désirée n’est pas simplement un exercice devant impliquer seulement la direction de l’organisation. Tous vos employés vivront entre 35 et 40 heures par semaine dans cette culture, et le seul moyen de vous assurer qu’ils supporteront cette culture, c’est si elle est faite pour eux, avec eux. Comme disait Howard Behard, ancien PDG de Starbucks, « Ceux qui nettoient le plancher devraient choisir le balai ». 

Ceux qui vivront dans votre culture ont une bonne idée de dans quelle culture ils veulent vivre. N’hésitez pas à leur déléguer cette superbe tâche qu’est de créer une vision pour votre culture, une stratégie pour la mettre en place et la renforcer, et de trouver les réflexes et les dynamiques nécessaire à son fleurissement. Donnez l’objectif souhaité, et laissez vos experts vous épater.

Bref, occupez-vous bien de vos employés, et ils s’occuperont bien de votre entreprise. 

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Culture-Washing : procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation dans le but de se donner une image de culture vibrante mais trompeuse.
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