C’est bon d’être hypocrite

C’est bon d’être hypocrite

On confond parfois la bienveillance avec le fait de ne pas aborder de sujet délicat, de ne pas faire de reproche, de ne pas s’énerver… Elle semble être devenue un mot-valise utilisé pour enrober des vérités qu’on ne veut pas dire, par peur de blesser ou de se prendre des reproches à son tour.

Bienveillance (n.f)
Disposition d’esprit inclinant à la compréhension, à l’indulgence envers autrui.

Est-ce que ça veut dire que si un collègue fait une erreur, il ne faut surtout pas que ce lui soit reproché? Faut-il le protéger coûte que coûte, faire en sorte de ne pas froisser ses sentiments? Et si c’est vous, faut-il aussi vous protéger?

Ça serait plus facile, on balaie sous le tapis et on passe à autre chose…  Mais ne serait-ce pas hypocrite?

Hypocrisie (n.f)
Attitude consistant à dissimuler son caractère ou ses intentions véritables, à affecter des sentiments, des opinions, des vertus qu’on n’a pas, pour se présenter sous un jour favorable et inspirer confiance.

Si je reprends l’exemple du collègue qui commet une erreur, ne rien lui dire ou s’assurer qu’aucun reproche ne lui soit fait n’est pas bienveillant, mais hypocrite. Être bienveillant consisterait à reconnaître la situation en accordant le droit à l’erreur, et accompagner son auteur pour trouver une solution puis déboucher sur un apprentissage, de façon constructive, afin que toute l’équipe ou l’organisation en bénéficie. Être hypocrite serait de faire attention à ce qu’aucun reproche ne soit fait, et à demander au collectif de réfléchir à des solution à la place de l’auteur.

Après tout, l’essentiel n’est pas l’erreur mais comment la résoudre, non?

Non.

Seul un environnement bienveillant – mais pas hypocrite, permet d’arriver à tirer les bons apprentissages d’une erreur. Le processus de réflexion autour de la recherche de ce qui a amené l’erreur à se produire est le plus à même de déboucher sur un plan d’action qui renforcera le système. Je ne fais pas référence aux clichés du genre “il n’y a pas d’erreur, il n’y a que des apprentissages”. Ce dont je parle va au delà, car les erreurs existent et il faut les admettre.

Écoute, empathie et communication

Lorsque quelqu’un se sent entendu dans l’expression de son ressenti, il ou elle arrête d’essayer de se justifier, de chercher des explications à tout prix. Sans cela, cette impression de ne pas avoir convaincu, de sentir sur soi un regard de jugement et d’accusation par rapport à l’erreur commise est inconfortable. On va alors répéter jusqu’à ce qu’on se sente entendu, ou jusqu’à ce que notre besoin d’empathie soit assouvi. 

C’est bon d’être hypocrite

Ce besoin est celui de faire prendre conscience à notre interlocuteur que nous avons pris toute la mesure des conséquences de ce qui est arrivé. Et c’est valable dans les deux sens: que nous soyons l’auteur de l’erreur ou celui qui l’a faite émerger. 

Lorsque nous faisons une erreur, nous allons naturellement chercher la compassion là où l’on peut. Alors on va essayer d’attirer la sympathie par des complaintes sur notre contexte difficile. 

Si quelqu’un cherche à se justifier d’une erreur en boucle, peut-être devrions nous d’abord la rassurer, en acceptant de se laisser toucher par ses émotions. Cela ne signifie pas forcément d’être en accord ou de minimiser l’événement, mais d’accepter ce que l’autre ressent. C’est alors qu’une communication peut être établie. 

Cette communication, il existe de nombreux protocoles pour la faciliter. L’Analyse Transactionnelle (AT) propose par exemple son modèle des trois états du “moi”, dans lequel on est tour à tour dans l’enfant (je veux, je me plains, je suis malheureux) ou le parent (tu dois, tu devrais, il faut). En jouant parfois involontairement à des jeux psychologiques, nous passons et faisons passer les autres successivement de la position de victime (je suis attaqué) à celle de persécuteur (en voulant me défendre, j’attaque), puis de sauveur (je viens t’aider, victime), puis de retour à victime (mais pourquoi rejettes-tu mon aide, victime) voire directement à persécuteur (accepte mon aide, je te l’ordonne), etc. Ça tourne en rond, et l’émotion rentre rapidement en jeu.

L’AT recommande alors de briser ce cercle en “branchant” son adulte, et en posant les choses de façon objective et factuelle, de briser le cercle. Cela nécessite de prendre une grande inspiration et de revenir au factuel. Un peu comme les accords toltèques pourraient le suggérer, ou encore les 4 temps de la CNV (OSBD: Observation, Sentiment, Besoin, Demande). Toutes ces “méthodes” à défaut de meilleur terme, visent à mettre en place un dialogue.

C’est cette intention d’ouvrir une communication saine par l’assertivité et la bienveillance qui permet à quelqu’un de reconnaître son erreur sans la peur du blâme, et alors d’en prendre la pleine possession.

Ownership

Si on fait en sorte que l’ownership de l’erreur ne soit pas reconnu, on prive notre collègue (ou nous-même), autant que le système, d’une parfaite opportunité d’amélioration. Et il ne s’agit pas que de la façon de mentionner l’erreur, mais de l’intention qui vient avec son évocation. Un ancien mentor disait souvent “sparks must fly”. Et effectivement, lors de notre collaboration les étincelles jaillissaient, mais toujours de façon constructive, avec intention.

Il faut laisser à chacun la possibilité de “posséder” son erreur, de s’en excuser sans se flageller, et de s’améliorer. Prenons l’exemple des 6 A de Google pour une excuse appropriée :

  • Admit – J’ai fait une erreur
  • Apologize – Je m’excuse pour cette erreur.
  • Acknowledge – Je sais où je me suis trompé, et ce qui a permis mon à erreur d’arriver
  • Attest – Je prévois de faire ceci pour réparer mon erreur, et selon cette timeline
  • Assure – Je mettrai les protections suivantes en place pour s’assurer que cette erreur ne se reproduise pas.
  • Abstain – Ne pas répéter cette même erreur une seconde fois

C’est ce processus dont je parlais plus haut, que seul l’auteur de l’erreur est capable de dérouler. Il y a de formidables outils qui permettent de formaliser l’apprentissage d’une erreur, et d’en maximiser la valeur sous la forme de la culture du post-mortem. Car oui, d’une erreur peut découler de la valeur.

Favorisez une culture de la sécurité psychologique. Admettez et appropriez-vous vos erreurs, et laisser vos collègues faire de même. Accompagnez les dans l’apprentissage de celles-ci. Ne les protégez pas, aidez-les à déployer leur potentiel comme on vous a aidé. Ils n’en deviendront que plus résilients, et plus à même de réagir avec sang-froid lors des prochaines erreurs et sauront en faire des opportunités d’amélioration.

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C'est bon d'être hypocrite
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C'est bon d'être hypocrite
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Éloignons le blâme de la personne qui commet une erreur, car c’est bienveillant. Et aussi un peu hypocrite, mais c’est plus facile que de faire l’effort de l’aider à s’améliorer à partir de sa mésaventure. Et si la bienveillance consistait plutôt à transformer le blâme en croissance, à créer les conditions grâce auxquelles les erreurs étaient assumées par leur auteur pour leur permettre de créer des opportunités d’amélioration?
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